Médecine chinoise, taoïsme et écologie

conférence d’introduction à la formation de médecine et massage chinois 2007-08

Par Elisabeth Martens,  enseignante et praticienne de médecine traditionnelle chinoise

le 15 décembre 2006

 

Cette année m’est venue l’envie de démarrer ce nouveau cycle de cours concernant la médecine traditionnelle chinoise par quelques considérations philosophiques. Je voudrais dire un mot, tout d’abord sur les relations qui se sont tissées entre la médecine chinoise, le taoïsme et l’écologie, ensuite sur les relations difficiles entre les médecines, chinoise et occidentale. Ces domaines de la pensée me tiennent beaucoup à cœur : après avoir obtenu une licence en biologie à l’ULB, j’ai eu l’occasion de suivre une formation universitaire en médecine traditionnelle chinoise, de trois années, en Chine (NanJing).

La pensée chinoise, la médecine chinoise et l’écologie sont des pensées du fonctionnement des choses, du « comment ça fonctionne ? ». Un proverbe du Hunan dit : « est juste ce qui fonctionne, est faux ce qui échoue ». Un autre proverbe, utilisé dans le milieu médical de la Chine traditionnelle dit : « il n’y a pas à croire ou à ne pas croire en une méthode thérapeutique, on en constate les effets ». Ces deux proverbes résument assez bien ce vers quoi est tournée la pensée chinoise : « qu’est-ce qui fonctionne ? », et pour répondre à cette question, une autre la précède : « comment cela fonctionne-t-il ? ». Cela donne à la pensée chinoise un aspect essentiellement pratique.

« Comment cela fonctionne ? » est la question que se posent toutes les sciences. Toutefois, chez nous cette question n’est devenue un véritable moteur de recherche scientifique qu’au 16ème siècle, avec Galilée, c’est-à-dire avec la quantification d’expériences répétitibles et avec la mathématisation des méthodes qui, jusque-là, étaient essentiellement empiriques. Cette quantification a donné leur envol aux sciences exactes, qui elles-mêmes ont permis le développement des sciences quantiques ouvrant la voie aux sciences de biosynthèse et aux nanotechnologies. Ayant dépassé le stade de la manipulation des éléments constitutifs du vivant (qui a donné lieu aux fameux OGM), les scientifiques en arrivent maintenant à manipuler les éléments constitutifs de la matière qu’elle soit vivante et inerte : les atomes. Ces technologies nouvelles ouvrent une énorme gamme de possibilités dans tous les secteurs de notre vie et sont susceptibles de créer une révolution planétaire plus importante que celles qui ont marqué le 19ème siècle (ex : environnement, énergies, agriculture, industries, construction, médecine, armement, etc.). Les transformations radicales qu’elles peuvent engendrer sont encore très peu connues. Par contre, ce qui est certain, c’est qu’elles représentent une menace évidente sur le vivant et sur la planète tant qu’elles restent entre les mains du marché libre. Or en 2006, « les financements privés de la recherche et du développement des nanotechnologies devraient pour la première fois dépasser les financements publics », lit-on dans un rapport de l’Institut WorldWatch. Si les années précédentes, les Etats nord-américains (Etats-Unis et Canada), certains Etats européens (dont l’Allemagne et la France) et asiatiques (dont le Japon et la Chine) avaient déjà injectés quelques milliards de dollars dans cette recherche, ce sont maintenant les plus grandes multinationales qui prennent le relais.

La médecine occidentale a évolué de pair avec les sciences exactes, puis avec les sciences quantiques, et elle s’apprête à évoluer encore plus rapidement avec la convergence dite des « BINC » : convergence des Biotechnologie, Informatique, Nanotechnologie et sciences Cognitives. L’évolution des sciences a permis de mettre au point des méthodes d’investigation de plus en plus fines, des radiographies, aux échographies, scanners, IRM, etc., sans parler des avancées spectaculaires des méthodes curatives proposées par la médecine occidentale. Il est incontestable qu’elles ont remarquablement amélioré en peu de temps l’hygiène et la santé publique, et permettent même de rallonger nos vies de quelques années, voire de quelques décennies. Toutefois, il est aussi incontestable que la médecine occidentale et sa technicité manquent souvent d’empathie et de vision globale du patient. Par exemple, si un patient ressent des douleurs aiguës dans la région du foie, son parcours en médecine occidentale sera sans doute : une échographie, suivie peut-être d’un diagnostic « calculs biliaires » et un rendez-vous pour une intervention chirurgicale. Alors que la médecine chinoise pourrait apporter une autre réponse à ce patient, pour la simple raison qu’elle se pose les questions : « comment ce patient fonctionne-t-il ? quelles relations établit-il avec son environnement particulier ? ».

Ces questions, si elles sont celles des médecins chinois, sont aussi celles qui se trouvent au cœur de la pensée chinoise, non pas depuis le 16ème siècle, mais depuis plus de deux millénaires. En Chine, la question du fonctionnement des choses a rapidement supplanté celle du « pourquoi des choses » : pourquoi le vivant, pourquoi l’être humain, pourquoi la vie, pourquoi la mort ?... autant de questions existentielles caractéristiques de tout être humain, certes, mais que la Chine, contrairement à l’Occident, a vite laissé au portemanteau des énigmes irrésolues, lui donnant l’occasion de s’intéresser de plus près au « comment des choses ». On pourrait avancer que l’inconscient chinois a plus rapidement que le nôtre été absorbé par l’observation de son environnement qui, dès avant le Néolithique, se prêtait particulièrement à la sédentarisation.

Si la civilisation chinoise débute avec la dynastie des Shang au 16ème AC, l’établissement de communautés villageoises eut lieu bien plus tôt : vers le 8ème millénaire AC. Les abords du Fleuve Jaune au Nord, et du Fleuve Bleu au Sud, étaient propices au développement de l’agriculture, or celle-ci exigeait une vie sédentaire. A la même époque, nos ancêtres indo-européens étaient chasseurs et cueilleurs ; puis nomades et pasteurs, ils déambulaient sur les plateaux secs et arides de l’Asie centrale. Certains sinologues (dont Haudricourt, Gernet, Jullien) voient dans ces deux modes de vie différents – nomades indo-européens et sédentaires chinois – l’origine de deux modes de pensée qui vont évoluer différemment.

D’une part, nos ancêtres indo-européens ont pendant fort longtemps dû commander à leur bétail, et ont dû aller à la recherche de pâturages plus accueillants. Le cheptel étant leur seule richesse et leur seul moyen de survie, ils ont été poussé par l’environnement à conquérir d’autres terres et auraient donné naissance à des civilisations conquérantes – dont nous avons hérité - pour lesquelles importent : le verbe, l’ordre, le commandement, le logos. Des civilisations qui, en raison de leur mode de vie, ont établi une distinction nette entre celui qui commande et celui qui reçoit les ordres. L’un ne peut pas être l’autre, ne pourra jamais le devenir, et même l’exclut, parce qu’il s’agit d’une relation de dominant à dominé, puis de conquérants à conquis, et de maîtres à esclaves. Dès lors, la pensée du conquérant conçoit un « extérieur à », un « en-dehors de » qui donne direction et sens : c’est là-bas, où les pâturages sont plus verts et l’eau plus bleue, qu’il faut aller et conquérir.

Ce clivage fut effectif et consommé durant la longue période du Néolithique, qui ne se termine qu’avec l’émergence de nos premières civilisations. Il s’est perpétué dans la pensée grecque, avec, entre autre, le modèle d’Aristote pour lequel A n’est jamais non-A, pour lequel la cause ne se confond pas avec l’effet. Cause et effet sont, dans ce modèle, considéré comme deux boules de billard qui se poussent l’une l’autre ; de proche en proche, elles font finalement tomber la dernière boule dans le trou. Dans le modèle de cause à effet existent obligatoirement une origine et un aboutissement. Les pensées issues de ce mode de vie nomade et conquérant sont des pensées qui se dirigent d’un point à un autre, qui un sens et un but. Elles se lisent de gauche à droite, comme on lit un livre du début à la fin, tous les événements de l’histoire s’enchaînant l’un l’autre ; toutefois A n’égale jamais non-A. N’est-ce pas ce type de raisonnement qui rendit célèbre la phrase biblique : « que ton oui soit oui, que ton non soit non » ? Ce oui et ce non distinguent avec netteté entre noirs et blancs, vils et bons… et puis entre corps et esprit, l’un relevant de la matière périssable, l’autre relevant du divin éternel et le rejoignant. Et nous voilà, Occidentaux, écartelés entre deux pôles inconciliables, habités de « tensions à résoudre ».

Pour faire comprendre l’énorme écart qui s’est creusé entre cette pensée et celle issue des ancêtres chinois, il suffit parfois de dire que, dans la langue chinoise, il n’existe aucun mot pouvant rendre notre « oui » et notre « non ». Ces mots si simples et si communs existent dans toutes les langues indo-européennes, alors qu’ils sont absents de la langue chinoise. Bien sûr, il y a beaucoup de manières d’affirmer et de nier en chinois, et on peut rendre toutes les nuances rejoignant ces deux extrêmes, mais le « oui » et le « non » n’existent pas. D’emblée, cela nous fait penser qu’en Chine, A peut devenir non-A, ou que toute phrase affirmative contient en elle-même sa propre négation, ou que le non-dit est le dit « en creux » !

Pour survivre, les ancêtres chinois ont développé une économie agricole et, depuis le 8ème millénaire AC en tout cas, ils sont devenus sédentaires. Or pour que fonctionnent les cultures d’orge et de blé au Nord, de millet et de riz au Sud, il fallait avant tout de l’observation : une observation minutieuse du cycle des graminées et des plantes comestibles, une observation patiente et à long terme pour faire correspondre leurs cycles à ceux de la lune, du soleil et des saisons, une observation qui ne demandait pas à l’être humain de venir de l’extérieur pour conquérir une terre nouvelle, mais pour laquelle l’être humain se situait au centre de sa propre terre.

Dès lors, toute observation ne pouvait venir que de lui-même, de son propre corps, de ses propres organes des sens… de sa vue, son ouïe, son toucher, son odorat, et puis surtout, de son goût : le goût des plantes, leurs saveurs, leurs odeurs. Shennong, ou « le Paysan Conscient » parce qu’il « a goûté les 10.000 plantes », est devenu le personnage que la mythologie chinoise a placé à l’origine de l’agriculture et de la pharmacopée, comme pour signifier que, par une observation consciencieuse, par l’utilisation efficace de ses organes des sens, l’être humain a la faculté de distinguer entre ce qui lui permet d’évoluer, ce qui l’arrête dans son évolution et ce qui lui nuit. C’est vrai en ce qui concerne la distinction entre les plantes comestibles et non comestibles, mais c’est vrai aussi pour la distinction entre les plantes qui ont un pouvoir de guérison et celles qui n’en ont pas. La pharmacopée, au fil de l’évolution de la médecine chinoise, est devenue la méthode thérapeutique la plus riche et la plus complexe. Ceci est entre autre dû à la contribution des maîtres taoïstes qui, au cours du 1er millénaire PC, étaient impliqués dans les recherches alchimistes de l’élixir d’immortalité. A l’instar de Shennong, ils ont goûté tout ce que la nature leur offrait : végétaux, animaux, et minéraux. Certains l’ont payé de leur vie et sont morts, empoisonnés par le sulfure de mercure (le fameux cinabre) ou étouffés par d’autres mélanges sulfureux. Toutefois, ces recherches ont considérablement élargi l’éventail de la pharmacopée chinoise dont le principal compendium est le « Bencao Gangmu » rassemblant de nombreuses prescriptions magistrales et la description de milliers d’herbes médicinales. Il a été rédigé par un célèbre médecin du 16ème siècle, Li Shizhen. A cette gigantesque pharmacopée, il faut ajouter une autre méthode « centrifuge » (agissant de l’interne vers l’externe) : la diététique, une spécialisation de la médecine chinoise à part entière.

Les méthodes curatives « centripètes » de la médecine chinoise (agissant de l’externe vers l’interne) sont souvent plus connues chez nous : l’acupuncture, la moxibustion (chauffer des points ou des zones du corps) et le massage ou Tuina-Anmo (diverses méthodes de mobilisation du corps et acupressure) proche des manipulations kinésithérapeutiques et osthéopatiques. Méthodes centrifuges et centripètes sont toutes empiriques : elles relèvent de l’observation des patients sur plusieurs dizaines de générations de médecins issus des académies impériales et de praticiens taoïstes.

Si la transmission du savoir médical se faisait d’abord oralement, l’écrit est très vite apparu comme indispensable pour retenir et transmettre les acquis. Ni les trajets des méridiens, ni les points d’acupuncture, n’auraient pu être décrit avec autant de précision sans l’apport de l’écrit. C’est grâce à l’écriture qu’un système médical cohérent fut élaboré à la fin de l’Antiquité chinoise. Au 3ème AC fut rédigée la première compilation médicale comportant toutes les connaissances médicales acquises jusque là : le « Huangdi NeiJing » ou « Traité de Médecine Interne de l’Empereur Jaune ». Cet ouvrage est devenu le traité fondateur de la médecine chinoise. Comme ce fut le cas pour tous les grands classiques chinois, les écrits qui ont suivi furent des commentaires, des discussions, des interprétations, etc. de cette compilation initiale. Encore aujourd’hui, les étudiants en médecine traditionnelle chinoise doivent suivre un cours sur les Classiques de la médecine, dont le Huangdi Neijing. Et, comme traditionnellement, chaque médecin est invité à incorporer ses propres expériences et découvertes à la somme des connaissances acquises. La médecine chinoise est ainsi plus qu’une tradition : elle est une médecine vivante qui se remet en question et qui évolue de manière continue. Bien que cette évolution se fasse nécessairement dans le cadre limité de son propre système, la médecine chinoise s’est ouverte aux technologies de pointe et a incorporé les méthodes d’examens de la médecine occidentale. En outre, acupuncture, pharmacopée et autres méthodes de la médecine chinoise traditionnelle sont actuellement soumis aux expérimentateurs et aux laboratoires occidentaux.

Les Chinois ne se sont pas contentés d’observer le fonctionnement de l’être humain, mais ils ont élargi leurs observations à l’environnement, au « shan shui, 山 水 » : deux caractères signifiant « montagne » et « eau » et qui, associés, rendent l’idée du paysage. Leur observation s’est donc tournée vers l’eau, et plus particulièrement vers l’impact de l’eau sur la roche. L’eau, par sa capacité à s’échapper et à s’infiltrer, se laisser couler et se rassembler, est devenue un symbole majeur du Taoïsme. C’est de l’observation des mouvements de l’eau que sont nés les grands travaux hydrauliques - irrigation, digues, barrages, canaux, écluses, etc. - qui ont marqués la Chine et l’ont baptisée « pays de l’eau ». Yu Le Grand, un des cinq empereurs placés par la mythologie chinoise à la fondation de sa civilisation, est le patron des travaux hydrauliques. Comme tout le monde le sait, ces travaux se perpétuent aujourd’hui : le Grand Barrage et les Gorges du Yangzi ont fait suffisamment de remous chez nous ! Ce que l’on sait moins est que le pourcentage d’électricité venant de l’énergie hydraulique s’élève en Chine à 7%, ce qui dépasse de loin la moyenne mondiale, qui est de 2%. Mais il n’atteint pas encore celui de la Suisse (20%), bien que la Chine prévoit d’amener son pourcentage d’électricité verte à 20% d’ici 2020, dont la moitié grâce à des centrales hydroélectriques. Elle prévoit aussi d’amener l’ensemble de ses énergies vertes et renouvelables à 10%, ce qui est le programme écologique le plus ambitieux de la planète à l’heure actuelle !

Nous avons pourtant l’image d’une Chine polluée, polluante et très énergivore. Elle l’est effectivement, et elle le restera jusque dans les années 2020 à 2030 parce que sa démographie, malgré une politique de natalité sévère (obligation de l’enfant unique dans les villes) ne sera pas stabilisée avant cette échéance. Si la Chine a un programme politique à ce point ambitieux, c’est que, d’une part, elle a les capacités économiques et techniques de le réaliser, et que, d’autre part, elle n’a pas d’autre choix. En supposant que sa croissance économique continue à augmenter telle qu’elle le fait actuellement (10%/an), si elle ne tenait pas compte des limites de son environnement, elle irait droit à sa perte et entraînerait avec elle le reste de la planète. La Chine est donc obligée d’investir dans les recherches environnementales, ce qu’elle fait dans les domaines des énergies renouvelables, du traitement des eaux usées en milieu urbain, du nettoyage des lacs et des rivières, etc.

Elle prévoit également l’accroissement de la surface des réserves naturelles et la reforestation à grande échelle dans tout le pays. Ce vaste programme écologique est intégré dans son dernier plan quinquennal (2005-2011), qui y ajoute l’encouragement des « ONG vertes ». Depuis le début des années 2000, les associations de défense et de protection de l’environnement sont devenues de plus en plus nombreuses et de plus en plus actives en Chine. Le gouvernement estime qu’elles ont un rôle indispensable, de contrôle de l’environnement et de prévention de la pollution, c’est pourquoi il les encourage et les soutient. L’activisme vert est un phénomène récent, toutefois il peut se comprendre dans une continuité historique : les Chinois, grâce à leur sens de l’observation et d’une mise en pratique immédiate, ont inventé une multitude de techniques permettant d‘améliorer leur quotidien en s’adaptant mieux à leur environnement. L’industrialisation à outrance, qui n’a démarré en Chine que durant la seconde moitié du 20ème siècle, n’a pas pu annihiler quelques millénaires de réflexion écologique.

En outre, grâce aux travaux de Joseph Needham, on ne peut plus oublier que jusqu’au 16ème siècle, les Chinois étaient en avance de plusieurs siècles sur l’Occident dans de nombreux domaines scientifiques et techniques. En médecine, par exemple, leur découverte de la circulation du sang date du 2ème PC, même chose pour l’endocrinologie, les biorythmes et le diabète. Une première laparotomie s’est faite au 2ème PC, un premier vaccin contre la variole fut inoculé à grande échelle au 10ème PC, etc. Les Chinois étaient bien en avance aussi dans les techniques agricoles : c’est d’eux que viennent la charrue, le semoir à rangs multiples, le harnais à collier, la brouette, la roue à eau, etc. En hydraulique, en techniques de navigation et de construction navale, et même en aéronautique, ils nous dépassaient largement. Par exemple, les taoïstes aimaient observer les vents ascendants du haut de leur ermitage. Dès le 4ème AC, ils ont fait voler des cerfs-volants, et à partir du 4ème PC, ils les ont transformés en delta-plane… testés par des prisonniers de guerre !

Sans parler des quatre inventions majeures sans lesquelles la Renaissance européenne n’aurait pas été un tournant aussi important pour nous : le papier et l’imprimerie qui ont largement contribué à la diffusion du savoir, ainsi que la boussole et la poudre noire qui ont permis la prise de pouvoir sur des régions lointaines (nos belles colonies !) Mais qu’avait la Chine de tellement différent de l’Occident pour avoir su développer ces techniques de manière précoce (par rapport à nous) sans pour autant avoir franchi le pas vers les sciences exactes ? D’une part, elle avait une structure de société bien différente de la nôtre ; d’autre part, elle avait une pensée bien différente de la nôtre, l’un renforçant l’autre.

Le Système de « Bureaucratie Céleste », institutionnalisé depuis la dynastie des Han (début de notre ère) était un système d’Etat selon lequel toute la Chine – la terre, ses biens et ses habitants – appartenait à l’Empereur. Les individus ne possédaient rien, mais chacun avait sa place dans le rouage de cette bureaucratie. «  Shi – Nong – Gong - Shang » étaient les quatre catégories sociales, citées dans leur ordre d’importance, soient : « lettrés – paysans – artisans – commerçants ». Les lettrés étaient les mieux considérés et jouissaient des plus grandes récompenses matérielles : gouvernance de terres, maisons opulentes, facilités diverses, etc. Cela explique que bon nombre de Chinois, même paysans, voulaient entreprendre des études et devenir lettré, et que actuellement encore, un Chinois qui a fait des études universitaires est un Chinois « sauvé » (même s’il reste pauvre, il est de bonne fréquentation). Ce sont eux que nous avons nommés, incorrectement, les « propriétaires fonciers ». En réalité, ils géraient les terres de l’Empereur, ce qui était un grand honneur.

Il y avait toute une hiérarchie parmi les lettrés, toutefois ceux qui étaient les mieux considérés et les plus décorés étaient les scientifiques : ingénieurs, mathématiciens, astronomes, médecins, biologistes, pharmacologues, géologues, etc. Les savants étaient glorifiés, parfois même divinisés. Les généraux et chefs d’armée étaient aussi dans la catégorie des « shi » (lettrés), mais on les considérait comme des « shi » de seconde zone, des « shi » ratés en quelque sorte. Les paysans (ou « nong ») venaient en second lieu dans les quatre catégories sociales : c’était sur eux qu’était basé le bon fonctionnement de la Bureaucratie Céleste. En effet, sans les céréales cultivées par les paysans, les greniers impériaux ne pouvaient nourrir la hiérarchie des lettrés. Ils avaient en main un levier du pouvoir impérial dont ils allaient se servir pour déstabiliser et faire chuter les dynasties décadentes. Puis venaient les artisans qui devaient fournir tissus (la soie a fait office de monnaie d’échange avec les pays voisins) et autres ustensiles à la cour impériale. Ceux qui se retrouvaient tout en bas de l’échelle étaient les commerçants ; ils étaient les plus méprisés parce qu’ils ne pensaient qu’à accumuler des biens matériels et à s’enrichir. Dès lors, en Chine impériale, la mise en avant du savoir par rapport à l’avoir a été le moteur le plus important des sciences et des techniques, contrairement à ce qui s’est passé chez nous à l’époque des Lumières lorsque les savants étaient poussés par des intérêts commerciaux.

Par ailleurs, la Chine a hérité d’une pensée émergeant de la perception, ancrée dans la mise en contact immédiate avec l’environnement. Puisque celui-ci se situe d’emblée au centre de ce qu’il observe, l’être humain déploie et affine ses antennes sur le monde. En observant, il devient l’action d’observer ; en écoutant ses sens, il se confond avec ce qu’il observe. De la même manière qu’un lion observe une gazelle qui bientôt va lui servir de repas : il n’y a pas d’un côté le lion, de l’autre côté la gazelle, il y a l’ensemble « lion observant gazelle pour en faire son dîner », ou même le processus « lion courant derrière gazelle ». A ce moment-là, lion et gazelle se confondent en un acte commun, l’un la mange, l’autre se fait manger. C’est la relation qui s’établit entre les deux acteurs du drame qui importe. Contrairement au modèle d’Aristote où A ne peut jamais devenir non-A, dans la pensée chinoise, l’observateur se confond avec ce qu’il observe : le « moi = A » peut être un « autre = non-A », puisqu’il peut devenir indistinct de son environnement. Tels sont d’ailleurs les saints immortels taoïstes : « xian », les « gens (indistincts) de la montagne », comme le montre le caractère 仙.

Schématiquement et de manière très résumée (il s’agit d’une caricature, j’en conviens, mais elle est utile ici pour comprendre la distinction que je veux mettre en évidence) : pour survivre, l'indo-européen a du dominer, conquérir, donner des ordres. Il vient de l’extérieur et se situe en-dehors de ce qu’il observe ; tel son Dieu, que l’indo-européen fait vivre en-dehors de lui et en-dehors même de la vie pour qu’Il ait l’opportunité de créer la vie. L’indo-européen n’est certes pas plus ou moins belliqueux qu’un Chinois, mais les contingences de son milieu l’ont amené à développer un autre mode de vie, et donc une autre pensée : une pensée qui s’arroge des droits sur l’environnement. Il intervient sur le cours de la nature, dans le but de la conquérir, la maîtriser et de s’en servir. Un Chinois, en raison de son environnement propice au développement de l’agriculture, s’est placé au milieu de sa propre terre et l’a observée à partir de son propre centre. En raison des limites de sa pensée – dans laquelle il n’existe pas d’au-delà ni d’en-dehors -, la Chine n’a pas mathématisé les expériences observées ; elle n’est pas parvenue à les abstraire de ce qu’elles sont dans la réalité, or cette étape est indispensable à l’émergence des sciences exactes. A-t-il fallu la transcendance, l’en-dehors, l’Autre-Tout-Autre, pour que naissent les sciences exactes ? Certes, mais il a fallut aussi que cet « en-dehors », ce Paradis, soit utilisé à des fins lucratives. La Renaissance connut cette transition.

Bien que la distinction entre Chine et Occident telle que je la présente ici est beaucoup trop tranchée pour correspondre à une réalité concrète, il faut bien l’avouer : aucun des Classiques chinois ne peut s’identifier aux « Dix Commandements » dictés par Dieu, incrustés sur les tablettes de Moïse et gravés dans l’inconscient occidental jusqu’à l’heure actuelle. Pour approcher l’immédiateté de la pensée chinoise, j’ai choisi un quatrain d’un classique taoïste (le DaoDeJing) :

Ren Fa Di 人 法 地 Humain se modeler sur Terre

Di Fa Tian 地 法 天 Terre se modeler sur Ciel

Tian Fa Dao 天 法 道 Ciel se modeler sur Dao

Dao Fa ZiRan 道 法 自然 Dao se modeler sur Nature

 

La première chose que l’on remarque dans ce quatrain est la répétition du caractère se trouvant au milieu de chaque vers : « fa, 法 », qui peut être rendu par « se modeler sur », « être copie de », « fonctionner de la même manière que ». Donc, on a pour le premier vers : « ren » prend modèle sur « di ». « Ren, 人 » : nous voyons le caractère se promener sur ses deux jambes, il s’agit de l’être humain. « Di, 地 » est la Terre, dont les manifestations sont les « Cinq Phases », c’est-à-dire les quatre saisons ou quatre directions, sans oublier leur pivot central sans lequel le passage d’une phase à l’autre ne pourrait se dérouler. Or ce sont les passages, les transitions qui intéressent la Chine. Les Cinq Phases se manifestent au niveau de l’être humain par le fonctionnement des Cinq Organes, chacun modelé sur une saison.

Au prochain verset, nous avons la « Terre, di » qui prend modèle sur « Tian, le Ciel ». La manifestation du Ciel sur la Terre sont les Six Energies climatiques : vent, froid, humidité, sécheresse, chaleur, canicule, chacune apparaissant sur Terre en accord avec sa saison. Tian, le Ciel, est circulaire, il est le temps, il est animation lorsqu’il est considéré en couple avec la Terre qui dès lors est carrée, espace et masse. Le Ciel prend modèle sur « Dao, 道», souvent traduit par « voie », « principe », « méthode ». Mais d’après le Daodejing (ou TaoTeKing) : « Dao que l’on peut nommer, n’est pas le Dao réel », donc mieux vaut ne pas le nommer. Par contre, on pourrait approcher sa signification en décomposant son caractère :

-en haut à droite, un radical qui montre un œil bien ouvert surmonté d’un chignon épinglé à la taoïste, donnant l’image de ce qui est en haut : la tête, qui voit et qui pense ;
-en bas à gauche, un radical qui sert de base ou de socle au premier radical et qui montre une jambe qui exécute un pas vers l’avant, qui fait une enjambée.

L’ensemble « Dao, 道 » donne l’idée d’un flux continu entre le haut et le bas, la tête et le pied, la pensée et le mouvement. Et si on élargit le champ sémantique : un flux entre le corps et l’esprit, tel qu’entre la matière et son mouvement. Mais, nous constatons une suite étonnante à ce bref quatrain. Nous pensions que ce célèbre « Dao » ne prendrait plus modèle sur rien, qu’il s’agissait d’un « absolu taoïste », souvent et malencontreusement assimilé à l’au-delà bouddhiste (le nirvana) ou à l’Un chrétien (Dieu). Mais non, il n’en est rien, puisque le « Dao » lui-même prend encore modèle sur quelque chose : le « ziran,  自 然 », un terme qui désigne la nature, ou « ce qui se fait naturellement, spontanément ». On traduit parfois « ziran » par : « de soi-même ainsi », mais c’est un peu dommage parce que cela fait trop directement penser au « thâtata » des bouddhistes. Gardons l’idée de : « geste ou acte qui suit le cours de la nature ».

Ce texte très court est remarquable à plus d’un égard, entre autres parce qu’en très peu de caractères, il fait apparaître la structure fractale de la pensée chinoise. En effet, si le « ren » (l’être humain) fonctionne sur le même modèle que la Terre, et que la Terre fonctionne sur le même modèle que le Ciel, et que le Ciel fonctionne sur le même modèle que le « Dao », et que le « Dao » fonctionne sur le même modèle que la nature, alors l’être humain fonctionne (ou en tout cas, il a le potentiel pour fonctionner) sur le modèle de la nature. Ce qui est très petit fonctionne de la même manière que ce qui est très grand, par exemple, les structures hélicoïdales qui se trouvent du niveau moléculaire jusqu’au niveau galactique.

Il ressort aussi de ce texte que la pensée chinoise n’est pas immédiatement issue d’une réflexion traduite en mots, mais qu’elle est plutôt de l’ordre de la physiologie et des organes des sens. Je veux dire par là que la pensée chinoise, avant de passer à la cognition et au verbe, relève d’abord de notre physiologie. Elle vient de l’odeur des choses, de leur toucher, de leur forme et de leur résonance en nous, de leur couleur, de leurs connivences et interactions... C’est d’ailleurs de la forme à peine esquissée des choses qu’est née l’écriture chinoise. Pour le comprendre, imaginez-vous vous promenant en forêt à la nuit tombante. Vous apercevez, au loin, un objet sombre sur le sol que vous ne parvenez pas à identifier. En percevant les contours de cet objet, toutes sortes d’idées de ce qu’il pourrait être vous passent par la tête : un chien couché, un rocher étrange, un vieux sac abandonné, etc., mais vous ne parvenez pas à savoir ce que c’est en réalité. Pourtant, il s’agit d’une silhouette dont vous pourriez dessiner le tracé général. Cet objet, votre rétine l’a enregistré et vous pouvez même l’avoir au bout du crayon avant d’avoir pu mettre un mot sur ce qu’il est réellement. L’écriture chinoise est née de cette manière : des silhouettes tracées des objets nous environnant. Les tracés de l’écriture chinoise nous fascinent parce qu’ils agissent sur nous de manière instantanée, ils parlent à notre regard bien plus rapidement que le mot, qui lui, écrit alphabétiquement, est à déchiffrer linéairement, de gauche à droite. Les tracés des caractères chinois reflètent l’immédiateté de la pensée chinoise.

Celle-ci (en particulier la pensée taoïste) et la pensée écologiste ont ceci de commun : que l’être humain se situe au cœur du paysage, non pas qu’il se sente particulièrement important, mais parce qu’il se sait et se sent faire partie intégrante de l’environnement. On retrouve cette idée dans les peintures de paysages chinois : des montagnes, de l’eau qui dévale en cascades, des pins accrochés en surplomb, un paysage immense et sauvage, et comme perdu dans cette nature grandiose, un petit quelque chose qui fait penser à l’être humain, peut-être un pavillon aux toits recourbés, ou un pêcheur assis près de la rivière, ou une caravane de mules accompagnée par un enfant… Mais, il faut le savoir, sinon on ne les voit pas, tellement ils sont intégrés au paysage.

Telle est aussi l’attitude taoïste : se fondre dans l’environnement au point de n’en être plus distinct, épouser les flux et les reflux de l’eau pour que, quand c’est nécessaire, le sage taoïste puisse se servir de l’onde porteuse et émerger au moment opportun. A ce propos, je vous ai choisi un texte, assez célèbre, de Zhuangzi, et rendu par une interprétation de J-F Billeter1 : « Confucius admirait les chutes de LüLiang. L’eau tombait d’une hauteur de trois cents pieds et dévalait ensuite en écumant sur quarante lieues. Ni tortues ni crocodiles ne pouvaient se maintenir à cet endroit, mais Confucius aperçut un homme qui nageait là. Il crut que c’était un malheureux qui cherchait la mort et dit à ses disciples de longer la rive pour se porter à son secours. Mais quelques centaines de pas plus loin, l’homme sortit de l’eau et, les cheveux épars, se mit à se promener sur la berge en chantant. Confucius le rattrapa et l’interrogea : « je vous ais pris pour un revenant mais, de près, vous m’avez l’air d’un vivant. Dites-moi : avez-vous une méthode pour surnager ainsi ? – Non, répondit l’homme, je n’en ai pas. Je suis parti du donné, j’ai développé un naturel, et j’ai atteint la nécessité. Je me laisse happer par les tourbillons et remonter par le courant ascendant, je suis les mouvements de l’eau sans agir pour mon propre compte. – Que voulez-vous dire par : partir du donné, développer un naturel, atteindre la nécessité ? » demanda Confucius. L’homme répondit : «  je suis né dans ces collines et je m’y suis senti chez moi : voilà le donné. J’ai grandi dans l’eau et je m’y suis peu à peu senti à l’aise : voilà le naturel. J’ignore pourquoi j’agis comme je le fais : voilà la nécessité ».

Arrêtons-nous un instant sur « le donné, le naturel et le nécessaire » que Billeter a choisi pour rendre : « guo 过, xing 性, et ming 命». « Je suis parti de guo » : je suis parti de ce qui m’est donné dès le départ, parce que je suis né dans un pays tel, dans une société telle et une famille telle, avec un nez comme ceci et des jambes comme cela. « J’ai développé un xing » : grâce à du travail, des techniques, de l’entraînement, j’ai développé ce qui est dans ma nature, ce pour quoi j’ai le plus d’aptitudes. « J’ai atteint le ming » : j’ai atteint ma propre vie, ce qui est une nécessité si je veux vivre en conformité avec moi-même et mon environnement. Cette nécessité est une jubilation, elle se fait dans l’ignorance du pourquoi je le fais, parce que je le fais « zirande » ou « de soi-même ainsi », en suivant le cours de l’eau ou le cours des choses. Le flux continu entre moi-même et mon environnement, me permet d’emprunter l’onde porteuse et d’émerger au moment adéquat. Mais quel est le moment adéquat ? Comment le reconnaître ? Dans le texte de Zhuangzi, le moment adéquat est celui qui permet la rencontre entre le nageur et Confucius : le nageur sort de l’eau exactement au moment de l’arrivée de Confucius.

Je fais ici une petite parenthèse pour replacer ce texte dans son époque : Zhuangzi, grand poète et écrivain du 4ème AC, fut considéré, de manière posthume, comme un des pères fondateurs du Taoïsme. Le nageur de son histoire représente le « zheng ren », « l’homme véritable » du Taoïsme, celui qui est à ce point en accord avec son environnement qu’il ne s’en distingue plus et devient invisible, comme les saints immortels. Quant à Confucius, il a vécu au 6ème AC, donc bien avant Zhuangzi, et il représente dans cette histoire le maître incontesté, quoique passablement ironisé. Il représente même plus que le maître : la maîtrise des choses, une maîtrise intellectuelle. On sait l’importance que Confucius attachait à l’enseignement et à l’éducation. On constate ici que la pensée chinoise n’est pas aussi homogène que je l’ai présentée jusque maintenant, puisque Zhuangzi se moque de « l’Etude » confucéenne. Comme n’importe quelle autre pensée, la pensée chinoise a connu une évolution chahutée et s’est divisée en de nombreuses branches. Toutes ces branches sont pourtant parties d’un tronc commun : la perception immédiate des choses, l’observation. Mais donc, voilà notre maître Confucius qui est tout à coup dépassé par les événements : alors qu’il croyait venir au secours d’un pauvre suicidaire, il se fait enseigner une autre manière de vivre que celle de la maîtrise intellectuelle. Le nageur lui apprend à surfer sur les vagues du présent et à émerger au moment adéquat. C’est l’image même de ce que le taoïsme deviendra durant toute l’époque impériale de la Chine.

Si le taoïsme est né durant l’Antiquité, avec Laozi, Zhuangzi, Liezi, etc., le Taoïsme n’a connu d’organisation ecclésiastique qu’à la fin de la première dynastie impériale, la dynastie des Han (206AC-220PC). Or, c’est pendant cette dynastie des Han que la doctrine de Confucius a été choisie pour servir de modèle à l’organisation sociale. Cela eut pour conséquence le clivage entre la doctrine officielle, confucianiste, et les courants taoïstes. Les organisations taoïstes ont pris racine dans les couches paysannes, en opposition avec la doctrine officielle qui, elle, était au service de l’Empereur et de sa Bureaucratie céleste. Le centre des villages et le lieu de rencontre des villageois était le temple taoïste qu’ils construisaient et entretenaient eux-mêmes. Dès leurs débuts, les organisations taoïstes ont servi de contrepoids au pouvoir impérial. Etant donné que leurs membres actifs étaient des paysans (qui se comptaient à plus de 90% durant les deux millénaires de Chine impériale), il n’était pas difficile aux maîtres taoïstes de rassembler les masses dès que le pouvoir en place se faisait trop exigeant, trop brutal, trop répressif.

Les maîtres taoïstes pouvaient pendant plusieurs générations mener une vie retirée, vivre en ermites dans les montagnes, mais quand la situation devenait critique pour les paysans, ils n’hésitaient pas à sortir de leur retraite, à émerger et à organiser les révoltes paysannes : c’était le moment adéquat. C’est ainsi qu’ont été déstabilisées presque toutes les grandes dynasties chinoises qui, au bout de quelques siècles de règne, implosaient pour cause de corruption et décadence des mœurs. Pendant les deux dynasties étrangères (les Mongols au 13ème PC, puis les Mandchous du 17ème au 20ème) les associations taoïstes ont continué à œuvrer, bien que de manière discrète. Certaines sont d’ailleurs appelées les « sociétés secrètes ». Par exemple, durant la dynastie des Qing (mandchoue, de 1644 à 1911), les sociétés taoïstes se sont retirées dans le fond des grottes et des caves. C’est à cette époque que les maîtres taoïstes ont développé l’art de se défendre avec les poings selon les principes du Taiji (connu sous le nom de « symbole du Yin-Yang ») : le Taijiquan, mouvements aller-retour, attaque-défense, une fois Yin, une fois Yang. « Yi Yin - Yi Yang - Zhi Wei Dao », lit-on dans le YiJing (ou YiKing, le « Livre des Mutations » dont les prémices remontent au 2ème millénaire AC), ou « une fois Yin, une fois Yang, voilà comment ça marche  (ou : tel est le modèle général) ». Grâce à ces mouvements alternants qui suivent le court naturel des choses, les pratiquants des diverses formes de Taijiquan développent une grande puissance.

A quelques exceptions près dans la longue Histoire de la Chine, les organisations et maîtres taoïstes ont été garants de l’harmonie de l’Empire grâce à un aller-retour fluide entre Ciel et Terre, tel qu’entre Bureaucratie et paysans (Shi et Nong), Confucianistes et Taoïstes (Rujia et Daojia). Sans oublier toutefois que la plupart des Chinois ont été à la fois confucianiste et taoïste… et même bouddhiste simultanément ! D’où l’expression : « tout être humain naît avec les sandales du bouddhiste, grandit avec le pinceau du confucianiste et vieillit avec la cane du taoïste ». Suivant leur position sociale, situation familiale et âge, ils étaient un peu plus l’un ou l’autre, dans le flou précis qui les caractérise. Ceci est assez éloigné de l’image romantisée que l’on donne volontiers du vieux sage taoïste plongé dans une profonde méditation, loin de l’agitation des villes et des foules. Si cette image n’est pas fausse, elle est en tout cas incomplète : elle laisse de côté l’aspect social du taoïsme qui fut pourtant fort important tout au long de l’Histoire impériale. C’est assez éloigné aussi du « wu wei » qui, interprété à l’occidentale devient, au pire, le « non-agir », au mieux, « agir sans faire intervenir sa propre volonté ». « Wei er bu zheng », une devise taoïste utilisée par les maîtres d’arts martiaux internes, rend autrement la même idée : « viser (au but) sans s’obstiner (au but) ». En effet, lorsqu’on se focalise sur un objectif à réaliser « coûte que coûte », on est peu ouvert à ce qui se passe autour de soi. Or, le « zheng ren », « l’homme véritable » du taoïsme, est celui qui se maintient dans le flux continu entre lui et son environnement : c’est ce qui lui permet d’émerger, de réagir, de se mettre debout et d’agir au moment adéquat.

C’est aussi ce qui permet à l’être humain de se maintenir en bonne santé jusqu’à un âge avancé. Les maîtres taoïstes ont développé toutes sortes de techniques pour renforcer la santé : techniques de respiration, de mise en mouvement, de visualisation, etc. rassemblées sous le nom générique de « Yang Jingshen » ou « nourrir le corps-esprit ». On y retrouve diverses formes de Qigong et de Daoyin auxquelles sont venues s’ajouter celles du Taijiquan (à partir du 17ème siècle). Ces techniques taoïstes ont lentement été absorbées par la médecine chinoise et incorporées dans ses pratiques. Ni les techniques taoïstes de santé ni les méthodes proposées par la médecine chinoise ne distinguent entre prophylactique (préventif) et thérapeutique (curatif) : « Alors qu’en médecine occidentale il existe une césure entre d’une part prévention, hygiène, massages, diététique, et d’autre part thérapeutique et chirurgie, en médecine traditionnelle chinoise de telles frontières sont inconcevables ; tout ce qui est lié au bien-être physique et psychique concerne la médecine sans hiérarchisation. Par conséquent le hiatus créé par les médecins occidentaux entre le curatif et le préventif ou le normal et le pathologique est pour les asiatiques une utopie ; s’occuper du processus climatérique ou gérontologique devient aussi essentiel que de traiter les cas de franche pathologie. », lit-on dans « L’art de nourrir la vie »2.

On peut toutefois se demander si ces techniques ne sont pas dépassées et à quoi elles pourraient nous servir dans notre vie quotidienne si affairée ? En réalité, elles viennent bien à point entre les stress du travail, des formations continues, des performances horaire, les remises en question des relations familiales, de couple, de parents-enfants, la malbouffe et les produits toxiques qu’on retrouve dans son assiette sans le soupçonner, le climat qui se détraque, la course effrénée pour s’adapter à mille nouvelles technologies à la fois, les infos dramatiques auxquelles on ajoute les films catastrophe, etc. La liste est longue si on voulait énumérer les agressions quotidiennes ; il y a parfois de quoi baisser les bras. C’est là qu’interviennent les pratiques de santé taoïstes et celles proposées par la médecine traditionnelle chinoise : elles nous donnent la force d’agir et de réagir, ne fut-ce que par un nouveau regard sur notre vie et sur notre environnement, ou en posant un acte de résistance, ou en s’engageant dans un mouvement déjà existant et qui s’oppose aux destructions engendrées par notre système économique concurrentiel.

Dans nos pays occidentaux, le plus grand nombre de patients qui consultent en acupuncture sont soit des personnes qui ont mis un pied dans l’engrenage infernal du marché libre et qui, même si elles le voulaient ne pourraient plus faire marche arrière, accusant alors la surpression au travail, les horaires flexibles, une fatigue accumulée et toutes sortes de dérèglements l’accompagnant ; soit des personnes marginalisée par le système du marché libre et qui, du coup, sont dépressives parce que dépréciées. Pour la médecine chinoise, ces patients sont touchés par des « xie qi », ou « énergies perverses ». Celles-ci peuvent se ranger dans deux grandes catégories de « causes des maladies ». La première catégorie est centripète, elle attaque l’être humain de l’extérieur vers l’intérieur (par ex. une surcharge de travail) de la même manière que les « excès du climat », que ce soit un hiver trop doux ou un été trop froid. La seconde catégorie est centrifuge, elle vient de l’intérieur de l’être humain et s’exprime vers l’extérieur, comme par ex. les excès émotionnels, que ces excès soient dans la durée ou dans l’intensité. La médecine chinoise ajoute une troisième catégorie de « causes des maladies » où elle case tout le reste : les accidents, l’intempérance alimentaire ou sexuelle, les erreurs médicales, les empoisonnements, etc. Ces causes de dysfonctionnement se manifestent par une série de signes typiques, ou symptômes, installant la personne dans un « modèle pathologique », encore nommé « tableau pathologique », lequel est souvent compris comme un cercle vicieux duquel le patient ne parvient plus à sortir.

Je reviens un instant sur le terme « cause » des maladies, car il ne doit pas être compris de la même manière qu’en médecine occidentale. Kaptchuk le rappelle ici : « La métaphysique qui met en valeur la perception de modèles est à la base de la pensée chinoise. Elle est en partie due au taoïsme auquel manque l’idée de créateur et qui se préoccupe de ce qui se trouve à l’intérieur du réseau des phénomènes mais pas au créateur. Pour les Chinois, ce réseau n’a pas de créateur ; en Occident, la préoccupation finale est toujours le créateur ou la cause et le phénomène en est essentiellement le reflet. L’esprit occidental cherche à découvrir ce qui est en-deçà ou au-delà, ou la cause des phénomènes. Dans l’optique chinoise, la vérité des choses est immanente ; en Occident, la vérité est transcendante. »3Dans l’optique chinoise, la vérité est immanente, donc changeante, parce qu’elle dépend du contexte et d’un tas de facteurs environnementaux : « toute vérité est l’inverse d’une autre vérité » dit-on en Chine. Tandis que chez nous, la vérité est transcendante, donc absolue ; porteuse d’une direction unique, elle donne sens à notre vie, elle lui donne même un air de linéarité qui sied bien à l’occidental qui sait vers où il dirige son regard ; rien n’est lassé au hasard dans une pensée linéaire ; elle part d’un point pour aboutir à un autre, cherche la cause, l’origine du problème et trouve une issue à celui-ci.

Je vous étonnerai peut-être en disant que la médecine chinoise ne s’interroge pas quant à la cause d’un dysfonctionnement, mais de fait, elle est une mise en pratique de la pensée chinoise qui ne pose pas la question de l’origine des choses. Par exemple, ce que la médecine occidentale va diagnostiquer comme étant une grippe aura comme cause le virus untel dont l’effet est l’état grippal. « Tel virus produit telle grippe » : il s’agit d’une pensée linéaire, de cause à effet. Un patient qui se présente en médecine traditionnelle chinoise avec une grippe se verra diagnostiquer un modèle pathologique qui selon les types de signes sera : une « Attaque externe du Vent-Froid », ou un « Vide de Qi du Poumon », ou des « Glaires chaudes envahissant le Poumon ». Ces modèles différents seront traités différemment ; alors qu’en médecine occidentale, le médecin prescrira à tous les grippés des antipyrétiques, des analgésiques et une semaine de congé.

Au lieu de parler de cause et d’effet, la médecine chinoise utilise les termes : « ben-biao », ou « racines - branches ». Les racines et les branches font partie d’un même arbre, qui est le patient. Les racines sont le « terrain » du patient, c’est sa disposition qui, à un moment donné, a permis à l’énergie perverse de pénétrer ; les branches sont les manifestations d’un modèle pathologique. Ben et Biao sont deux aspects d’un même paysage et sont en général traiter simultanément : « renforcer les racines et élaguer les branches » dit la médecine chinoise. Donc quand on parle de « cause » d’une maladie, il faut plutôt entendre qu’il s’agit du terrain du patient, propice à recevoir une « perversité », ou un « xieqi ». D’ailleurs, le « xieqi » ne devient pervers qu’à partir du moment où le terrain le perçoit comme tel.

Prenons l’exemple de deux riziculteurs qui ont le même âge et qui, de longue date, travaillent côte à côte dans la même rizière (cela peut aussi être deux ouvrières dans une buanderie !). L’un des deux se plaint d’articulations douloureuses et enflées. Le médecin pourra bien sûr mettre les douleurs articulaires sur le dos du travail en rizière, mais alors, pour quelle raison l’autre riziculteur ne présente-t-il pas les mêmes symptômes ? La médecine chinoise répond par la notion de « terrain » du patient, qui accepte l’humidité, et même l’absorbe comme un buvard, à partir du moment où son paysage interne répond en écho au climat externe, l’un amplifiant l’autre. Que signifie un « climat interne humide » ? C’est un patient qui se plaint de ballonnements, de lourdeurs d’estomac, d’une digestion lente, de réveils difficiles, de pensées confuses, de jambes lourdes ; bref il s’agit d’un patient « lourd » ou qui se sent lourd. Comment a-t-il pu développer un paysage interne « humide » ?... Cela peut être à cause d’une alimentation trop riche en sucres et en graisses. Le médecin travaille alors à renforcer le terrain du patient pour que l’humidité qui stagne à l’intérieur soit évacuée vers l’extérieur.

On peut aller plus loin dans le raisonnement : un patient qui développe des « pensées humides », c'est-à-dire des pensées lourdes, obsessionnelles et stagnantes comme un épais brouillard, est imprégné de cette atmosphère pesante. A la longue, il présentera facilement des symptômes d’humidité : digestion lente, somnolence, jambes lourdes, tête comme un sceau… et dès les premières pluies, il se plaindra d’articulations douloureuses et gonflées. Un patient à paysage interne humide est plus susceptible qu’un autre de présenter un déséquilibre pathologique en climat humide, et touchant la sphère organique de la Rate, car celle-ci est la plus sensible à un excès d’humidité.

Il y a donc l’idée d’une continuité entre le paysage interne du patient et le climat externe de l’environnement. Cette continuité amène le déséquilibre de l’un à renforcer celui de l’autre.

Un deuxième exemple est celui d’un patient dont l’atmosphère interne est dominée par le vent. D’abord que signifie un « paysage interne dominé par le vent » ? Il s’agit d’un patient qui, souvent en raison de nœuds émotionnels (émotions non exprimées), présente des vertiges, des raideurs, des tremblements, des spasmes, des acouphènes, des renvois, de l’aérophagie, de l’irritabilité, des céphalées, de la nervosité, une vision trouble, etc. Ces symptômes seront renforcés lors de grands vents et de tempêtes. Toutefois, les tempêtes climatiques peuvent aussi être comprises au figuré. Les vents qui viennent de l’extérieur et agissent sur notre état émotionnel, cela peut aussi être l’excès d’informations futiles et inutiles auxquels il n’y a pas moyen d’échapper ; par exemple : les panneaux publicitaires, un bouchon à l’heure de pointe, les humeurs du patron, la perte d’un emploi, les dettes qui s’accumulent, des nouveaux gadgets « indispensables » qu’on ne parvient pas allumer (ou éteindre !), etc. Pour la médecine chinoise, s’il s’agit de situations qui dépassent la capacité d’adaptation de la personne, c’est un vent pervers.

Cela explique pourquoi la plupart des patients actuels présentent des modèles pathologiques concernant la sphère organique du Foie : celle-ci est la plus sensible aux excès de vent, et actuellement nous sommes réellement assaillis par les vents pervers, au sens propre (en raison du réchauffement climatique) comme au sens figuré. Or, c’est justement le vent pervers (ou en excès) qui ouvre la voie aux autres énergies perverses ; le vent facilite l’accès vers l’intérieur des excès d’humidité, de froid, de chaleur, de sécheresse. Chacune des ces énergies perverses doivent être comprises au sens propre comme au sens figuré, par exemple, un excès de froid peut être un été particulièrement frisquet, mais cela peut aussi être une atmosphère familiale extrêmement rigide et froide, pour ne pas dire frigide.

L’accès vers l’interne étant facilité par les excès de vent, les énergies perverses pénètrent le patient suivant son terrain. Elles vont installer le patient dans un paysage pathologique particulier : qui la garrigue provençale (Vide Yin du Rein et du Foie), qui la banquise polaire (Vide Yang du Rein), qui le marais stagnant (Stagnation d’Humidité au Triple Réchauffeur médian), qui l’incendie de forêt (Feu du Cœur), qui la chaleur des tropiques (Chaleur-Humidité de la Vésicule biliaire), etc. Dès lors, il serait plus correct de dire que la médecine chinoise, plutôt que de chercher les causes d’un déséquilibre, cherche à décrire, ou même à dépeindre, un paysage interne du patient qui reflète les fragilité de son terrain, et qui répond en écho aux excès externes.

Pour le dire d’une autre manière, la déstabilisation d’une sphère organique permet au « xieqi » (énergie perverse externe) qui y correspond, de pénétrer (via le vent, ou non). C’est pourquoi la médecine chinoise s’est attelée à décrire les attitudes psychiques excessives, susceptibles de déséquilibrer chacune des sphères organiques. Nous avons déjà cité les obsessions, la rumination et le ressassement qui déstabilisent la sphère de la Rate, la fragilisant par rapport à un climat trop humide. Nous avons aussi citer les noeuds émotionnels, les émotions non dites, les frustrations et les colères de longue durée qui déstabilisent la sphère du Foie, la fragilisant par rapport à des excès de vent. Il y a encore la joie excessive, proche de l’exubérance, voire de l’hystérie, qui déstabilise la sphère du Cœur et la rend plus réceptive à des chaleurs dépassant les normes de la saison et les canicules estivales. La tristesse de longue durée amenant le patient dans un état de mélancolie et de fermeture au monde, déstabilise la sphère du Poumon et permet à la sécheresse d’attaquer les poumons. Une frayeur brusque, la peur ou l’angoisse de longue durée déstabilisent la sphère organique du Rein et la rend sensible aux grands froids de l’hiver ou à des excès de froid par rapport à la norme saisonnière.

L’absence de dichotomie entre signaux psychiques et physiques que l’on constate dans ce type de raisonnement est assez spécifique de la médecine chinoise ; à nouveau, elle reflète la pensée chinoise qui ne distingue pas, comme la nôtre, entre corps (mortel) et esprit ou âme (immortel), mais considère l’être humain comme un processus naturel au sein duquel une fluctuation s’opère de manière continue entre matière-énergie dense (Jing Qi) et matière-énergie éthérée (Shen Qi). C’est pourquoi il n’existe pas de « malades imaginaires » en médecine chinoise, ou qu’on ne dira jamais d’un patient que « tout cela se passe dans sa tête ». Tous les symptômes et renseignements fournis par le patient sont pris en compte par le médecin, tous sont valables.

Dans la même idée de continuité des processus, il n’existe pas de rupture entre l’interne de l’être humain (les Cinq sphères organiques) et son environnement, l’un est la continuité de l’autre et l’un réagit en fonction de l’autre, amenant le patient à s’installer dans un paysage pathologique particulier à un moment donné. Le rôle du médecin est de constater les exubérances de ce tableau et d’y remédier, tout en ne perdant pas de vue que ce tableau se transforme continuellement. L’idée de « silence des organes » ou de « santé idéale » n’existe pas en médecine chinoise ; la santé est fluctuante et, comme tout autre processus en cours, est à voir dans son évolution, plutôt qu’en fonction d’un objectif à atteindre. La santé est relative à chacun et différemment ressentie par chacun.

La force de la médecine chinoise est de considérer le patient dans sa globalité et relié à son environnement particulier, alors que la force de la médecine occidentale est d’isoler la maladie du patient et de ne travailler que sur elle (ce que s’avère efficace lorsqu’il y a une nécessité chirurgicale, par exemple). Ces deux systèmes médicaux ont leurs propres faiblesses et limites tel que le montre un degré d’efficacité thérapeutique similaire et estimé à 60%, mais leurs atouts respectifs s’avèrent complémentaires. Cela a fait dire à Mao : « puisque nous avons deux jambes, marchons sur nos deux jambes »4. La médecine occidentale a fait ses premiers pas en Chine au cours du 19ème siècle. Elle a ensuite a été défendue avec acharnement par Sun Yatsen qui, avant de proclamer l’avènement de la République chinoise en 1911, avait suivi des études de médecine occidentale au Japon puis en France. De retour au pays, il a eu l’intention d’éradiquer la médecine traditionnelle chinoise, n’y voyant que vieilles superstitions. Mais la tradition médicale était tellement ancrée en Chine que c’était comme vouloir arracher un mûrier de son jardin, il revient toujours.

Actuellement, la médecine chinoise « marche sur ses deux jambes ». Dans tous les hôpitaux chinois, les patients ont le choix de se tourner vers la médecine traditionnelle chinoise ou l’occidentale. Les étudiants qui optent pour la médecine occidentale doivent obligatoirement suivre un cursus de médecine traditionnelle chinoise. Inversement, ceux qui optent pour la traditionnelle ont aussi plusieurs cours de médecine occidentale. Cela permet à la médecine traditionnelle chinoise de profiter des technologie de pointe offertes par la médecine occidentale, par exemple pour ses examens médicaux : radiographie, scanner, IRM, échographie, analyse de sang, etc. Et puis, cela donne la possibilité aux médecins de mieux conseiller des patients hésitants ou de renvoyer vers l’autre système un patient dont le traitement ne fonctionne pas de manière optimale dans le système qu’il a choisi.

Beaucoup de patients se font d’ailleurs suivre parallèlement dans les deux systèmes médicaux. Par exemple, pour traiter un cancer, la médecine occidentale offre au patient ses connaissances en chirurgie, chimiothérapie, rayons, etc., mais les effets secondaires de ces traitements souvent « durs » sont adoucis par des méthodes de la médecine traditionnelle chinoise. Pour certains troubles, par ex. des douleurs articulaires, la médecine traditionnelle chinoise peut suffire ; alors que dans d’autres cas, il est indispensable de passer par la médecine occidentale. C’est ce genre de coopération qu’on peut espérer mettre en place dans nos pays occidentaux. Toutefois, pour que la médecine traditionnelle chinoise pénètre dans nos milieux médicaux, scientifiquement aseptisés, il faudra encore beaucoup de travail d’informations, de démystification et de popularisation.

Biblio :

« Comprendre la médecine chinoise, La toile sans tisserand », Ted Kaptchuk, Ed. Satas

« Fondements de la médecine chinoise », Giovanni Maciocia, Ed. Satas

« Aperçu de médecine chinoise traditionnelle », J. Schatz, Claude larre, El. Rochat de la Vallée ; Ed. Desclée de Brouwer, 1979

« Connaissance de l’acupuncture, l’art de nourrir la vie », Chr. Recours-Nguyen, Ed. YouFeng, p184

« Histoire de la médecine chinoise », D. et M-J Hoizey, Ed. Payot

« Dialogue des civilisations Chine-Occident, pour une histoire œcuménique des sciences », Joseph Needham, Ed. La Découverte

« L’intelligence de la Chine », « La raison des choses », Jacques Gernet, Gallimard

« La pratique de la Chine, en compagnie de François Jullien », André Chieng, Grasset

« Figure de l’immanence », « Procès et création », François Jullien, Seuil

« Histoire du Taoïsme », Isabelle Robinet, Cerf

« Taoïsme et corps humain », Catherine Despeux, Ed. Guy Trédaniel

« Leçons sur ZhuangZi » Jean-François Billeter, Ed. Allia